Référencer son école

Pour ou contre l’utilisation de l’IA pour corriger des copies ?

5 Min. de lecture

La correction de copies par l’intelligence artificielle est déjà une réalité dans le monde de l’enseignement. Des applications plus ou moins perfectionnées apportent un soutien que beaucoup d’enseignants estiment non négligeable dans leurs tâches de corrections. Ce sujet ne fait toutefois pas l’unanimité.


Nous avons donné la parole à deux professionnels de l’enseignement pour recueillir leurs avis sur cette pratique, en leur posant une question simple : Êtes-vous pour ou contre l’utilisation de l’intelligence artificielle pour corriger les copies de vos élèves ?

Jean-Yves Labouche, est professeur de mathématiques, membre du comité de rédaction de MathémaTICE, membre de la commission Inter-IREM TICE et auteur chez Hatier

« Enseignant depuis 30 ans, je considère la correction des copies comme un moment pédagogique important : c’est notamment un diagnostic dont j’ai besoin pour comprendre mes élèves et les aider à progresser. Mais c’est aussi une tâche chronophage et répétitive, souvent ingrate. Si une IA pouvait m’assister dans ce travail, je l’adopterais très volontiers. Mais à certaines conditions : je ne m’inscris pas dans un enthousiasme naïf face à ces nouvelles technologies.

Tout d’abord, je veux garder le lien avec mes élèves : l’IA doit être un assistant, pas un remplaçant. Ensuite, l’IA devra être fiable dans ses évaluations. En mathématiques, c’est compliqué : les IA ne sont pas encore capables de comprendre une construction géométrique (angles, longueurs, cercles…) et ont du mal avec certaines notations spécifiques (matrices, vecteurs, calculs posés…). Mais je suis très confiant sur ce point : les IA progressent très vite ! Enfin, les aspects éthiques et écologiques devront faire partie intégrante de la réflexion sur les outils à adopter.

Des plateformes françaises comme Examino ou Ed ouvrent des pistes prometteuses. En quelques secondes la copie est évaluée, suivant un barème décidé ou validé par l’enseignant, avec un commentaire bien plus détaillé que je ne pourrai jamais le faire, faute de temps (une page entière pour Examino !). Il est alors possible de s’appuyer sur ces retours détaillés de l’IA pour enrichir sa propre évaluation. On peut aussi imaginer qu’elle génère ensuite, pour chaque élève, des fiches de remédiation ou d’approfondissement ciblées (Ed va dans cette direction). Ce serait une véritable valeur ajoutée et un gain de temps non négligeable.

S’ils ne sont pas encore au point, les outils à notre disposition pour la correction de copies vont évoluer très rapidement et devenir de plus en plus fiables. Je pense qu’il nous revient de nous en emparer pour que ces évolutions servent nos objectifs : accompagner au mieux nos élèves en étant au plus près de leurs besoins individuels. »

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Inès Drège est professeure de philosophie au sein de l’Académie de Dijon et coordinatrice du Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs.

L’utilisation de l’intelligence artificielle pour corriger des copies de philosophie “peut être problématique” selon Inès Drège. « Si une IA est capable d’évaluer une dissertation, cela signifie que l’exercice ne mobilise plus véritablement l’intelligence humaine, mais une forme de production standardisée et sans pensée », s’inquiète-t-elle.

Dans pareil cas de figure, « l’IA serait donc utilisée non parce qu’elle serait devenue plus compétente, mais parce que l’exercice philosophique se serait appauvri, incitant mécaniquement les élèves à écrire des textes répondant aux attendus d’une machine, et non aux exigences de la pensée ».

Sachant qu’aucune grille rigide de correction ne peut être appliquée pour évaluer en philosophie, le travail du professeur consiste à poser un jugement global sur l’ensemble de la copie, « un exercice de discernement qu’une IA ne peut imiter » ajoute Inès Drège. « L’écriture philosophique engage un raisonnement vivant, non fragmentable en unités de compétences isolées. Par conséquent, une correction automatisée trahirait la nature même de la discipline » souligne-t-elle.

« La société d’aujourd’hui est saturée d’écrits produits dans la langue inerte et neutralisée des grands modèles de langage. Mais ces écrits sont-ils porteurs de sens, d’autant plus pour un élève dont on exige qu’il s’adresse à un lecteur ? Ou sont-ils plutôt des “contenus”, qu’il faut distinguer des “savoirs” ? L’enseignement de la philosophie doit inviter les élèves à ralentir, à penser, à prendre part activement à ce qu’ils produisent. C’est cette exigence qui donne tout son sens à la correction humaine des copies ; l’enjeu auquel l’enseignant est confronté, en cette période de révolution technologique, semble précisément d’éviter une mécanisation des évaluations, qui doivent valoriser l’effort de l’intelligence naturelle des élèves.

Et si d’aventure l’intelligence artificielle disposait des capacités nécessaires pour épauler efficacement le correcteur de philosophie, « une remise en question profonde de ce qui est demandé aux élèves s’imposerait, alerte-t-elle. En effet, si les productions deviennent de plus en plus standardisées, alors l’IA pourra effectivement accompagner la correction, mais il ne s’agira alors plus de philosophie » conclut-elle.


(Vérifié par notre rédaction)

Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Pour ou contre l’utilisation de l’IA pour corriger des copies ? Deux enseignants donnent leur avis.

Un soutien technique apprécié par certains enseignants :
Jean-Yves Labouche, professeur de mathématiques, voit dans l’IA une aide précieuse pour les corrections, à condition qu’elle reste un outil d’assistance, afin de conserver le lien pédagogique avec les élèves.

Des avancées majeures et quelques limites techniques en mathématiques :
Si les IA actuelles peinent à corriger certaines notions spécifiques aux mathématiques, comme les constructions géométriques ou les notations complexes, leurs progressions rapide laissent entrevoir des améliorations futures. Des IA permettent déjà d’évaluer des copies de mathématiques en quelques secondes en suivant un barème validé par l’enseignant.

Une correction enrichie et personnalisée grâce à l’IA :
Des plateformes comme Examino ou Ed permettent une évaluation automatisée, suivie de commentaires détaillés et de pistes de remédiation individualisées, offrant un gain de temps significatif aux enseignants.

Une opposition forte en philosophie au nom de la pensée critique :
Inès Drège, professeure de philosophie, s’inquiète de la standardisation des copies si l’IA devenait un outil de correction. Elle défend une évaluation fondée sur le discernement, qui valorise la pensée vivante et le raisonnement global.

Un risque de dénaturation des disciplines fondées sur l’intelligence humaine :
Pour la philosophie, l’automatisation pourrait entraîner une perte de sens pédagogique. Si l’IA devait un jour être compétente pour corriger ces copies, cela impliquerait une redéfinition inquiétante des attendus et objectifs de la discipline.

Photo : The design Lady via Unsplash

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